Il faudra produire plus, beaucoup plus, sans pour autant accentuer les pressions environnementales sur les écosystèmes. Il faudra donc accomplir la révolution de l'agriculture durable, plaide Luc Guyau, président des chambres d'agriculture.
Depuis quelques mois, l'évolution des prix mondiaux des denrées agricoles est devenue le sujet d'actualité incontournable. Les émeutes, provoquées par la hausse du coût de l'alimentation dans les grandes villes d'Haïti, des pays subsahariens, d'Asie et de Méditerranée, sont largement commentées.
Les institutions internationales sonnent l'alarme et prônent une réorientation de leurs politiques au profit de l'agriculture. Le débat fait rage sur les causes, les responsabilités et les remèdes. Economistes, responsables politiques, ONG, tous avancent leurs explications et leurs solutions, souvent pertinentes.
Pourtant, les acteurs principaux sont étrangement inaudibles dans ce débat. En tant que président des Chambres d'agriculture, il me paraît aujourd'hui primordial de faire entendre le point de vue des agriculteurs. Les agriculteurs des pays du Sud ont été limités dans leurs capacités de production et d'organisation par des politiques d'ajustement et de libéralisation des marchés prônées par les grandes institutions internationales.
Quant à nous, agriculteurs des pays riches, alors que les organisations de marché, mises en place au sortir de la seconde guerre mondiale, nous avaient permis de gagner le pari de l'autosuffisance alimentaire, nous sommes aujourd'hui confrontés à des prix erratiques et à leur cohorte de conjonctures parfois favorables, parfois difficiles. La situation actuelle, en France et en Europe, des éleveurs de porcs, confrontés à une stagnation du prix du porc et une explosion du coût de l'alimentation du bétail, est en cela significative.
Ce bref rappel des faits souligne que l'agriculture est une activité qui, pour économique et centrale qu'elle soit, ne "s'ajuste" pas d'un claquement de doigts. Pour pouvoir investir et produire, nous, agriculteurs du Nord et du Sud, avons besoin d'une visibilité des prix sur le long terme. Dans un contexte de globalisation des épizooties et de changement climatique lourd de conséquences, ces besoins d'anticipation et de stabilité renvoient à l'impérieuse nécessité de politiques agricoles et alimentaires fortes, au Nord, mais plus encore au Sud.
Ces politiques doivent autoriser et encourager l'organisation des producteurs, garantir la régulation et la stabilisation des marchés et comporter des mécanismes d'assurance et de gestion des risques climatiques et sanitaires. C'est à ces conditions seulement que les agriculteurs pourront relever le défi de la sécurité alimentaire, pour eux-mêmes et pour l'ensemble de la population.
Au-delà, compte tenu de l'évolution démographique, pour nourrir la population d'aujourd'hui, et plus encore celle de demain, il faudra produire plus, beaucoup plus, sans pour autant accentuer les pressions environnementales sur les écosystèmes. Il faudra donc accomplir la révolution de l'agriculture durable!
Cette révolution suppose tout d'abord de relever le défi de la recherche et de l'innovation agronomique qui répondrait aux attentes de la société en matière de qualité et de traçabilité des produits, et qui capitaliserait sur les savoir-faire et l'expérience au quotidien des agriculteurs du Nord et du Sud. Cette révolution suppose également une large diffusion des innovations et un accompagnement au plus près des agriculteurs sur le terrain.
A cet égard, les chambres d'agriculture, qui représentent l'agriculture française dans sa diversité avec 4.300 élus, ont une responsabilité majeure. Elles formulent des recommandations sur les politiques agricoles européennes, mondiales et locales. Elles jouent un rôle de médiation essentiel entre les différents acteurs locaux.
Leurs techniciens forment ou conseillent chaque année plus d'un agriculteur sur deux sur la gestion de leur exploitation, la prise en compte de l'environnement, la mise en place de filières de qualité, fers de lance de la dynamique des territoires. Au Nord comme au Sud, la prise en main de leur développement par les agriculteurs eux-mêmes est essentielle au succès d'une démarche de modernisation ambitieuse et adaptée à la réalité des situations de terrain.
Ne nous y trompons pas: la révolution des agricultures durables passera par des organisations de producteurs fortes ou ne passera pas!
Luc Guyau, président des chambres d'agriculture
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