dimanche 15 juin 2008

L'enjeu de la confiance dans le système bancaire

La Tribune.fr - 12/06/08

Le banquier doit inspirer confiance par la nature de son activité et par la manière dont il l'exerce, rappelle Bernard Fraigneau, directeur général honoraire de la banque Rothschild.

"N'entendez-vous pas une sourde rumeur d'orage". Avertissement de Méphistophélès (Faust de Goethe). Les éclairs ont embrasé le ciel et déjà, des augures entrevoient le retour au calme. Comme si les colossales pertes déclarées (et à venir) du système bancaire n'étaient qu'un cas d'école à inscrire au menu des thésards!

Comme si l'abondante création monétaire déversée par les banques centrales avait normalisé le marché interbancaire! Comme si les tonitruants appels au secours (augmentations de capital en série) ne devaient pas s'entendre comme des signaux de détresse!

D'autres voix s'élèvent qui se veulent plus responsables; elles réclament des remèdes copies conformes des potions passées, tel le retour au Glass Steagall Act. Pourtant, l'univers marchand n'a plus rien à voir avec celui des années 30. Nous vivons cette immense mutation que représente la conscience de la "fin des certitudes" (Ilya Prigogine). Le temps futur compte maintenant plus que le temps présent, et leur relation se perçoit mathématisée.

C'est bien là la zone d'épandage inévitable et planétaire de l'économie financière actuelle. Ces voix passéistes sont relayées par tous ceux qu'inspirent les relents de la démission collective en approuvant le recours aux puissances publiques, d'autant mieux vu que le Royaume-Uni a montré l'exemple.

L'appui de la Fed dans le "sauvetage" de Bear Stearns sert de modèle: "no bank left behind Act!" Dans les colonnes de La Tribune du 24 avril, Christian Stoffaës, président du conseil du Cepii, déclare comme une évidence: "Les banques gèrent le service public de la monnaie." Pierre Mauroy ne disait pas autre chose quand il prônait, en 1981, la nationalisation des banques.

Le décor est planté: 1) un très grave affaiblissement du système bancaire international dont il faut courageusement prendre toute la mesure; 2) le risque d'une politisation idéologique. Les acteurs (banquiers, autorités de tutelle, organes de régulation) sont appelés à leur devoir. Deux évidences s'imposent: le métier de banquier s'est corrompu dans la fréquentation des jongleurs de la spéculation, dans "la fantasmagorie de la lanterne magique" (toujours Goethe).

L'affaiblissement du système bancaire procède d'un évident dévoiement de l'industrie financière. Convoquer des dépôts, emprunter à d'autres banques, fédérer des actionnaires pour jouer à la loterie, en à-côté des fonctions naturelles du métier, c'est avoir une double vie.

Quand cette exposition équivoque prospère, les bonus et autres pourboires sont gratifiants et on en vient à définir les objectifs de profitabilité en fonction de critères sulfureux, bref on marche sur la tête. Que l'on ne dise pas que "l'affaire" Kerviel est une anomalie à laquelle, spécifiquement, on va remédier. C'est le principe même de ce type de business, déconnecté de la satisfaction des besoins de la clientèle, qui est en question.

Le banquier doit inspirer confiance par la nature de son activité et par la manière dont il l'exerce. Confiance de ses clients, confiance de ses personnels et confiance de ses actionnaires qui, ensemble, constituent sa référence. Quand, pour ne citer que cet exemple, une grande banque fait actuellement la quête (par mailing, par interpellation téléphonique) en offrant une rémunération de 10% à ses dépôts, au-delà donc de toute rationalité économique, croit-elle inspirer confiance? N'est-ce pas plutôt le doute qu'elle insinue chez ses interlocuteurs et contreparties?

La confiance se mérite, elle ne s'achète pas. Dès lors que les banquiers, leurs tutelles, les régulateurs auraient pris en compte cette double "révélation", si évidente pour un acteur d'un autre âge (les perspectives de bonus dussent-elles en souffrir !), une action urgente et énergique devrait être concertée: encadrer les interventions spéculatives dans le périmètre des seuls services requis par la clientèle. Car les métiers de marché sont désormais consubstantiels aux fonctions des gestionnaires d'actifs et de passifs financiers. Un nouveau Glass Steagall Act serait improductif.

Par contre, des règles contraignantes doivent être édictées qui ne justifieraient les montages, interventions et positions que par les "commandes" des clients. Finis donc, interdits, les jeux de casino prétendument fondés sur l'emploi des fonds propres de la banque. Ceux-ci doivent trouver leur rentabilité dans les services exclusifs à la clientèle. Tout industriel autre que financier fonctionne sur cette règle d'or.

Quand il y déroge (anticipation de ses fournitures, jeux sur les devises et/ou les matières premières), il s'expose à des situations dangereuses que son banquier est le premier à lui reprocher. Un grand chantier de régulations s'impose. Il est techniquement complexe tant le business model des banques est contaminé, mais le rétablissement de la confiance passe par là. L'enjeu est de taille.

Bernard Fraigneau, directeur général honoraire de la banque Rothschild

Aucun commentaire: