vendredi 18 mai 2007

Le chef du CPL se rendra à Paris le 31 mai pour signer son dernier livre Aoun : « Si je vais être élu président pour augmenter le nombre des corrompus

Scarlett HADDAD - En principe, il s’agissait de parler du livre qui vient de sortir en librairie et qui s’intitule : Général Aoun, une certaine vision du Liban. Il consiste d’ailleurs en une série d’entretiens avec le journaliste Frédéric Domont.

Mais comment ne pas évoquer, même avec un général aussi à cheval sur les principes éthiques et sur le respect du secret des entretiens, son entrevue matinale avec le secrétaire d’État adjoint américain pour le Proche-Orient, David Welch, celui-là même qui lui avait, selon certains médias, adressé récemment des critiques plus ou moins précises ? Avec un rien d’impatience, le général Aoun répond : « Ne comptez pas sur moi pour faire un scoop. » Puis il ajoute qu’il s’agissait en fait « d’une reprise de contact et l’échange est toujours positif. En tout cas, il permet aux deux parties d’y voir un peu plus clair ». Impossible d’en savoir plus sur le sujet, le général tenant à rester discret et préférant parler de « sa vision du Liban ».
Bien plus qu’un entretien journalistique – même si tous les sujets d’actualité y sont longuement évoqués –, le livre explique la réflexion du général sur le Liban, les chrétiens, leur rôle dans la région, celui de l’État et des citoyens,
mais insiste surtout sur la nécessité de mettre un terme à la guerre sur le terrain ainsi que dans les esprits et les cœurs. Un peu dans l’esprit de sa démarche en direction du Hezbollah, le général Aoun expose un projet d’avenir basé sur l’acceptation et le respect de l’autre, sur l’ouverture, la tolérance, le pluralisme, perçu comme une source de richesse, et sur l’unité nationale qui reste le filet protecteur du pays. Si certains passages peuvent paraître aux Libanais comme du déjà-lu, la position du général n’ayant guère changé sur certains sujets, le livre est aussi destiné aux lecteurs francophones. Le général se rendra d’ailleurs à Paris le 31 mai et une rencontre avec la communauté libanaise de France est prévue le 2 juin au palais des Congrès. Il compte faire, au cours de son séjour parisien, plusieurs apparitions dans les médias pour parler de son livre et de la situation générale du Liban.
Le général dément le fait que son livre ressemble à un programme présidentiel. Il précise aussi que c’est Frédéric Domont qui en a eu l’idée et la publication était prévue pour le mois de février, mais un retard dans la correction a voulu que le livre soit achevé en mai. Ceux qui attendent des confidences, des faits ou encore des attaques contre des personnes seront déçus. Le général se place, dans ce livre, au-dessus des petites polémiques et des critiques personnelles. Il explique aussi qu’il ne s’agit pas d’une biographie.
Tout en reconnaissant que certains conflits ne peuvent malheureusement être évités, le général affirme qu’en tant que chrétien, il n’éprouve aucune haine contre qui que ce soit, rappelant que la rancune et l’esprit de vengeance n’ont jamais rien apporté.

« Ai-je tué, trahi ou menti ? »...
Mais cela ne l’empêche pas d’affirmer que trois forces se dressent au Liban face au projet de réforme : le féodalisme politique, les chefs de guerre communautaires reconvertis en politique et la classe politico-affairiste. Selon lui, ces trois forces ont transformé le système politique libanais en système de guerre civile de basse intensité.
Lorsqu’on lui fait remarquer qu’il ne se fait pas des amis en écrivant cela, il répond : « C’est vrai la classe politique ne m’aime pas. Mais qu’on me dise pourquoi : ai-je tué ? Ai-je trahi ? Ai-je menti ? Je me contente simplement de dénoncer le fait que la corruption soit devenue partie intégrante de la classe politique. Elle est désormais un métier. » Comment, dans ces conditions peut-il se présenter à la présidence de la République ? « C’est pourquoi j’ai proposé une élection au suffrage universel. »
Mais même dans ce cas, ce sont bien les députés qui doivent amender la Constitution ?
« C’est vrai, mais je préfère être en accord avec ma conscience. »
N’est-il pas en train ainsi de saboter ses chances d’être élu ?
« Vous savez, arriver à la fonction n’est pas important. Ce qui compte, c’est à quel point je pourrai mettre mes idées en application. Si je suis élu pour augmenter le nombre des corrompus, je m’en passe. » Le général ajoute ensuite : « Je crois être condamné à remporter les batailles impossibles, d’autant que le possible est à la portée de tout le monde. »
Le général poursuit : « Cette bataille devrait faire passer le Liban de l’étape de décadence à celle du développement. La présidence devrait se consacrer à améliorer les lois et les articles de la Constitution. Aujourd’hui, le problème n’est plus dans le respect de la Constitution, mais dans l’amélioration de sa rédaction. »
Dans son livre, le général parle de société laïque. Est-elle réalisable dans le contexte actuel ?
« J’essaie de donner un cap, une orientation, sinon c’est le déclin. J’ai toujours dit que je ne verrai peut-être pas l’émergence de la société laïque, mais les bases en sont jetées. Ceux qui sèment les premières graines ne sont pas ceux qui les voient pousser. Un homme politique accomplit des choses dans le court, le moyen et le long terme. La laïcité fait partie du long terme, mais je crois que nous commençons à vivre partiellement ces idées, au Sud, entre chrétiens et chiites notamment. »

Chrétien par héritage et par choix...
En prônant la laïcité, ne risque-t-il pas de se mettre à dos le Hezbollah qui reste très religieux dans son modèle social ?
« Pour moi, ce qui compte, c’est le plein gré. L’essentiel est que tout le monde puisse effectuer un libre choix. »
Ce choix, le général l’a fait lui-même et il écrit : « Je suis chrétien par héritage et je le suis resté par choix. » Il explique ensuite : « Certaines religions sont perçues comme un traité de non-agression. Le christianisme, lui, va plus loin. Dans l’amour, il va jusqu’à aimer son ennemi. C’est plus qu’un idéal. C’est vers l’impossible qu’il faut aller. Et c’est parce que je suis chrétien que j’ai voulu aller vers l’autre. C’est aussi cela le témoignage. »
Le général dit aussi : « Pourquoi vouloir confiner Dieu dans une seule religion ? » Il explique ensuite que c’est là justement sa vision de la relation évolutive et progressive avec Dieu. « Le sentiment religieux, dit-il, est inhérent à l’homme. Or Dieu est un tout, on ne peut le limiter à une seule religion. Il y a eu plusieurs révélations. Dieu est universel, sinon, il ne serait plus infiniment juste. Il faut éviter la pensée unique en religion, et aucun croyant ne vit sa foi comme l’autre. »
N’y a-t-il pas une contradiction entre Michel Aoun qui a une vie spirituelle très riche et le général qui passe son temps à insulter la classe politique ?
« Sans vouloir faire de comparaison déplacée, le Christ a lui aussi eu de grandes colères. Lorsque je critique, c’est dans l’espoir de changer les choses. Mais je puise dans ma religion l’énergie d’absorber beaucoup de choses et je vous fais remarquer que je réponds rarement aux attaques. Mais c’est difficile pour moi de renoncer à la morale, à l’humanisme et au respect de la loi. Lorsque le Christ parle de tendre la joue gauche lorsqu’on reçoit une gifle sur la joue droite, il s’agit d’un symbole. En fait, le Christ demande de faire un autre acte pour contenir et absorber le mal. J’essaie de le faire, mais je ne suis qu’un pécheur... »

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